Je me souviendrai toujours de ce jour où j'ai quitté Saigon. Je n'aime pas dire Ho Chi Minh ville pour des raisons politiques personnelles. Bref, ce jour-là, j'avais passé au moins quatre heures à la gare routière à attendre que mon bus arrive. Je me dirigeais vers Wenzhou en Chine. J'avais entendu parler d'un bateau qui menait vers une île apparemment paradisiaque. C'est exactement ce qu'il me fallait. Je n'avais aucune envie de rester là, au Vietnam, ma vie me destinait à bouger, à tout recommencer à zéro.

Peu avant mon départ mes parents, mon frère et ma soeur, m'ont fait don de leurs économies. Je n'ai pas voulu accepter dans un premier temps car c'était quelque chose qu'ils avaient gagné à la sueur de leur front, mais ils étaient tellement insistants... Je sais que mon père se serait offusqué si j'avais osé refuser catégoriquement quelque chose qu'il m'offrait. C'est donc cet argent qui m'a permis de prendre le bus pour ensuite avoir une place dans ce fameux bateau.

Une fois installée dans mon bus, le voyage a été long. Ils nous aura fallu trois bonnes journées avant d'arriver à bon port. Ça m'a permis d'améliorer mon japonais. Disons que je n'ai jamais vraiment eu de cours, du moins je n'avais pas de professeur. Lorsque j'avais la chance de regarder des animes ou des dramas japonais, j'en profitais pour retenir des expressions. Si j'avais su un jour que ça me serait utile pour ma vie future, je me serais donné plus de mal pour apprendre cette langue.

J'ai aussi eu le temps de revenir sur ma vie à Saigon. Contrairement à la majorité de mes amis, même si je ne faisais pas partie des castes, j'avais de la chance de vivre de façon correcte. Ce que j'entends par là, c'est qu'à l'échelle de mon pays, avoir un petit appartement même pour quatre personnes, c'était bien. On mangeait à notre faim aussi. Mes deux parents travaillaient pour une grande entreprise implantée au Vietnam ce qui expliquait leur salaire un peu plus élevé que la moyenne. Je me rends compte que je n'ai jamais été une fille modèle contrairement à mon grand frère. Je ne pensais qu'à ma petite vie plutôt que d'aller jusque dans les rizières pour tenter d'aider davantage ma petite famille.

Mais ce qui m'a le plus marquée durant ce voyage, c'est la rencontre avec ce garçon. Il est devenu très important pour moi car c'est le seul ami que j'avais quand j'ai débarqué sur l'île après trois jours de bus et quatre jours de bateau. Il s'appelle Giang. Il est venu me voir alors que j'étais assise seule dans un coin. Il m'a regardée pendant plusieurs minutes. J'avais beau lui demander ce qu'il me voulait et s'il pouvait me laisser seule, il n'a pas bougé d'un pouce jusqu'à ce qu'il me demande de parler de moi. J'ai réfléchi durant de longues minutes. Je n'avais jamais eu l'occasion de parler de moi car à Saigon je n'avais pas d'ami confident. C'était plus des fréquentations afin de ne pas me sentir trop seule. Je lui ai donc dit que j'étais une personne qui aimait la solitude par dessus tout mais qui n'était pas froide pour autant. Je lui ai parlé de ma famille et je lui ai dit que ce que j'aimais par dessus tout c'était la danse. Mais je me suis mise à pleurer parce que j'ai repensé à ce qui m'a suivi durant toute mon enfance. J'ai toujours hérité des vêtements de mon frère et ma mère ne s'occupait pas trop de mon apparence. J'étais une sorte de garçon manqué, je le suis toujours un peu. Mais surtout on me surnommait l'as de pique. En d'autres termes, la pouilleuse. Bien que ne faisant pas partie de la classe inférieure, j'étais considérée comme étant au plus bas de la middle-class. Un déshonneur...

Alors Giang m'a prise dans ses bras, il m'a dit que je n'étais pas une véritable solitaire, qu'il pressentait que je n'avais qu'une envie c'était de m'ouvrir au monde mais que mon passé me faisait barrière. Il m'a aussi dit qu'une fois sur l'île d'Hachijo, il ferait tout pour que cette image de pouilleuse soit oubliée et que je devienne plus rayonnante que jamais. J'avais bu ses paroles et il m'avait redonné espoir. C'est pour ça que j'étais partie pour cette île, pour rencontrer ce genre de personne. Il est ensuite parti sans un mot. Je suis arrivée sur l'île par la suite et je me suis installé dans un petit studio. Je suis encore au chômage. Mais avec le peu d'argent qu'il me reste, je n'aurai bientôt plus d'autres choix que de trouver quelque chose...